Notre Dame des Landes

Le vendredi 21/07, après avoir quitté la Ferme du Petit Changeons, nous arrivons à Notre Dame des Landes. Lieu connu pour son "projet d'aéroport" mis à mal par des anarchistes qui occupent la zone et qui n'hésitent pas à se montrer violents lors de manifestations. C'est en tout cas l'image transmise par les médias grands publics, et c'est celle que nous avions avant d'entrer dans la ZAD ("Zone d'Aménagement Différée", rebaptisée "Zone A Défendre" par les opposants du projet). Comme on passait par là, on a décidé de se faire notre propre avis ... et on n'est pas déçus ! Nous souhaitons d'ailleurs faire un article destiné à ce lieu unique à nos yeux... car des choses intéressantes s'y passent ! Attention, article polémique ! ;)

A deux depuis le Belveder ZAD

Un "bref" historique, pour se remettre les pendules à l'heure et mieux comprendre comment nous en sommes arrivés là... 

C'est dans les années 1960 que l’idée d’un « aéroport du Grand Ouest » émerge de réflexions sur la décentralisation et le développement économique des régions. En 1970, les alentours de le ville de Notre Dame des Landes (NDDL) sont retenus pour l'aéroport. Mais rien de concret, d'autant plus que les chocs pétroliers, l'arrivée en 1989 du TGV à Nantes, un trafic aérien balbutiant, n'aident pas les choses à avancer. En 1994, à l’occasion d’un autre (très long) débat sur la construction d’un troisième aéroport parisien pour désengorger ceux d’Orly et de Roissy, le projet est à nouveau effleuré. Mais c’est sous le gouvernement de Lionel Jospin, en 2000, que le projet ressort véritablement. Après des études préalables, s’ensuit un débat public entre 2002 et 2003. Il est rapidement jugé biaisé par les opposants, car n’envisageant, selon eux, aucun autre scénario crédible. Le projet est validé par arrêté ministériel en octobre 2003. Puis soumis à enquête publique en 2006 et 2007. La déclaration d’utilité publique est signée en 2008, pour un aéroport qui accueillerait à terme neuf millions de passagers, et dont le coût est estimé à 581 millions d’euros. En 2010, l’Etat signe avec Vinci un contrat de construction et de concession du futur aéroport pour cinquante-cinq ans. Les travaux doivent commencer en 2014, pour une ouverture en 2017.

Pendant ce temps là, l'opposition s'organise, de nouveaux militants rejoignent les associations historiques (des années 1970) formées des paysans et habitants résistants des lieux et de nouvelles  associations se créent : manifestations en vélo et tracteurs sur Paris, fresques humaines dans les bocages, occupation, autogestion et mode de vie alternatif... Autant de traits qui préfigurent déjà l’ambiance de la future ZAD. Celle-ci s’étoffera peu à peu autour d’un noyau de quelques participants du camps qui demeurent sur place, occupant les terrains préemptés, sous tente, dans des cabanes ou des maisons laissées vides par le conseil général.

A l’automne 2012, c’est l’opération "César"  : l’Etat tente, avec plus de mille gendarmes et policiers, d’évacuer les « zadistes ». Ces expulsions manu militari, les destructions de fermes et de cabanes, et surtout la « guérilla bocagère » qui s’ensuit, faisant de nombreux blessés, retiennent l’attention des médias. Erigée en symbole, la lutte dépasse les enjeux locaux, s’attirant la solidarité de nombreux habitants et agriculteurs opposants, et au-delà, des soutiens venus de toute la France et même d’Europe. Le 16 novembre 2012, le président François Hollande réaffirme son soutien au projet. Le lendemain, une manifestation de « réoccupation » rassemble entre 13 000 et 40 000 personnes (selon les estimations) dans la ZAD, qui resteront quelques jours, quelques mois ... ou qui y sont encore pour certains.

Depuis, l'état reste embarrassé par ce dossier. Entre les voix lobbyistes, VINCI, les pros, les opposants, les écolos, et le raisonnable... dur de trouver la sortie, sans "mauvaise pub" ! Un trio de médiateurs a récemment été missionné par le premier ministre Edouard Philippe afin de prendre une décision ferme, définitive, et objective sur le sujet. Aujourd'hui, sur le site de NDDL, c'est 200 et 300 personnes, difficiles à comptabiliser car  réparties sur les 1650 hectares de ZAD, dans une soixantaine de lieux de vie qui expérimentent un monde alternatif, une vie autonome sans élection, sans état, sans police.

 

Arrivée ZAD

Nous étions tranquillement en train de suivre l'itinéraire GPS lorsque nous apercevons un panneau tagué annonçant la ZAD sur notre droite. Virage à 160° dans lequel Mion-Mion peine s'engager... En empruntant cette voie, on se sent instantanément "dans un autre monde", comme hors-France. Sans le savoir, nous venons de nous engager dans la rue la plus connue de la ZAD : la route des chicanes. La végétation reprend ses droits sur le goudron, la déparmentale ne permet plus à deux véhicules de se croiser... Des baraquements en bois, hissés d'un drapeau d'avion barré, annoncent la couleur. Des voitures brulées ou n'ayant pas bougées depuis bien longtemps sont présentes sur le côté, et accueillent maintenant des plantes : ici des courgettes, et là, dans le pneu retourné, des herbes aromatiques... La voie est "aménagée" (pour ne pas dire "défoncée") afin d'éviter toute prise de vitesse : dos d'âne, creuvasses et chicanes chahutent Mion-Mion (autant qu'ils doivent chahuter les fourgons policiers...). L'ambiance est dépaysante, nous sommes en perte de repères ; on conçoit aisément que les autorités nationales ont perdu la main mise sur cette zone du territoire...  Un fossé se creuse entre l'atmosphère ambiante et l'accueil des gens que l'on croise : ils nous saluent, nous sourient, nous indique notre chemin. En s'engageant plus dans les profondeurs de la ZAD, nous découvrons des potagers partout, des maisons autoconstruites, de la créativité (art de rue), de l'ingéniosité, un mode de vie simple et partagé... 

plus a perdre ZAD

Au fil de nos rencontres, nous comprenons que la ZAD est organisées en différents collectifs qui ne partagent en commun que la volonté de sauvegarder cette zone naturelle de l'incompréhensible projet d'aéroport (il y a un autre aéroport au dessus de Nantes, sous utilisé... pourquoi ne pas le moderniser plutôt que détruire une belle végétation ? Ils voient dans ce projet un lobbying financier ne servant l'intérêt que de Vinci). Ces collectifs -localisés ci ou là dans la ZAD- s'organisent de manière différente : certains "manifestent" par la seule occupation du terrain, travaillant la terre au long court, s'installant comme maraicher ou boulanger... d'autres sont clairement plus offensifs. Ca va donc du squatteur qui fume toute la journée à des gens très investis, se refusant de vivre du RSA et voulant prouver qu'une vie auto-gestionnaire du peuple par le peuple est possible. Malgré de réelles différences dans les points de vue à l'interne, ils réalisent entre collectifs des réunions communes afin d'avoir une vision au long court de la ZAD. Et comme nous le confie une jeune vivant là depuis 1 an : "On n'est pas toujours d'accord, mais on discute, on parle, on s'engueule, mais comme il est hors de question de faire intervenir les autorités nationales, on finit toujours par trouver un compromis. Et, elle est là notre force, nous sommes le peuple, nous sommes de tous bords, nous sommes extrêmement différents, mais de l'extérieur, pour l'Etat, nous sommes un bloc". D'ailleurs, ce qui lui faisait peur à elle, ce n'est pas les autorités, mais c'est le jour où le projet d'aéroport serait enfin annulé. Comment tous ces gens pourront garder une vision commune et vivre ensemble ? (lire plus loin "les 6 points")

Avant de passer par Notre Dame des Landes, nous avions un à-priori critique face à cet endroit, bien alimenté par les médias, nous ne sommes aujourd'hui plus trop sûrs de rien... Nous sommes très perturbés par ce lieu. Bien que la violence ne fait pas partie de nos valeurs, leur offensive nous parait légitime ; comme une réponse à la violence sourde et opprimante de nos élus ou des lobbying financiers qui n'ont que faire de l'opinion du peuple. Nous avions l'envie de les remercier de tenir malgré tout... Nous ne nous projettons celà dit pas dans cette vie ! 

Baricade ZAD

Une autre chose nous a dérangé : le "revenu" d'une certaine partie des Zadistes. Il s'agit bien d'une aide financière de cet Etat qu'ils condamnent tant ! Dans ce lieu, le RSA suffit largement à bien vivre. Toutes les manifestations prévues sur la ZAD (ils prévoient des concerts en interne pour les habitants de la ZAD... on s'est bien amusés!) sont à prix libre, les potagers permettent presque une suffisance alimentaire, et le logement est alternatif, gratuit ... Certaines personnes avaient tout de même cette valeur travail, et trimaient. Les squatteurs avaient d'ailleurs tendance à les agacer particulièrement... 

Bref, tout n'est pas noir ni blanc. Leur mode de vie est autant intrigant qu'inspirant ; de belles choses s'y déroulent. Notre avis est largement plus nuancé qu'à notre arrivée.

Cyr piano ZAD

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Nous avons beaucoup discuté durant ces quelques jours à NDDL, mais également lu. Nous avons lu quelques articles de différents journaux depuis plusieurs années. Voici, dans le désordre et sans transition les idées que l'on retient.

Texte "C'est quoi la ZAD" de Tout mais pas l'indifférence, Mai 2016.

"On ne reconnait pas à l'état la légitimiré de décider pour nous ce qui est permis. On ne reconnait pas à l'état ni à quiconque l'autorité de décider ce que l'on doit vivre. On tente de s'organiser pour la vie et la lutte sur la ZAD sans hiérarchie, en donnant le même pouvoir à chacun. Ce n'est pas quelque chose qui marche comme sur des roulettes, mais plutôt des débats et une recherche permanente.[...] Apprendre à être plus autonomes pour des choses pratiques, c'est se défendre contre un système qui veut nous rendre dépendant. Il ne s'agit pas que chaque personne sache tout faire, mais de s'entraider et de partager nos connaissances et nos ressources pour nous débrouiller ensemble. Nous voulons créer quelque chose qui nous convienne mieux. [...] On sait que nos maisons et nos potagers pourraient étre détruits, mais on vit et on s'organise aussi comme si on pouvait rester ici toutes nos vies : on ne veut pas s'empécher de faire des choses parce qu'ils pourraient nous expulser. [...] La ZAD est ainsi, moins par choix que de fait, une forme de communauté.
 


23km/h ZAD

Texte : "Les 6 points pour l'avenir de la ZAD - parce qu'il n'y aura pas d'aéroport."

Pensé pendant plus d’un an et demi et diffusé à partir de fin 2015 ce texte important du mouvement anti aéroport est encore plus d’actualité que le gouvernement a nommé des médiateurs censés trouver une solution au blocage actuel et remettre leur rapport pour décembre 2017. Ce texte est l’une des bases communes fortes pour penser ce que deviendrait la zone après l’abandon du projet d’aéroport. Car la lutte ne s’arrêtera pas avec l’abandon !

Extraits des 6 points de la ZAD :

Une fois le projet d'aéroport abandonné, nous voulons :
- que les propriétaires ou locataires expulsés ou expropriés retrouvent leurs droits

-que les agriculteurs impactés par le projet de vinci et ayant refusé de céder puissent continuer leurs activités dans de bonnes conditions

- que les nouveaux habitants venus occuper la ZAD puisse rester sur zone, que les batiments et experimentations agricoles construits depuis 2007 puissent se maintenir et se poursuivre

- que les terres redistribues sous formes de baux précaires soient gérées par une entité commune et issue du mouvement anti aéroport et non par les institutions habituelles.

- que ces terres soient destinées à de nouveaux usages et non à de lagrandissement.

- que ces bases deviennent une réalité par notre détermination collective.

Nous semons et construisons déjà un avenir sans aéroport dans la diversité et la cohésion. C'est à nous tout-e-s dès aujourd'hui de le faire fleurir et de le défendre.

Source :
https://zad.nadir.org/spip.php?article4629

 

Maraichage ZAD

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Deux autres extraits qui nous ont beaucoup enrichis, et que l'on voudrait vous partager : le premier sorti d'une BD, le deuxième est une citation de Bernard Werber :

La bloggueuse à l'origine de l'épisode sur la "charge mentale des femmes", Emma, a également fait une BD sur le thème de la violence des opprimés (cliquez pour le découvrir !). Cet extrait nous a parlé. Elle évoque une manière d'agresser une personne ou un groupe de personnes, en lui faisant croire que c'est elle qui réagit mal. Cette technique de manipulation a même un petit nom, elle s'appelle le "gaslighting". Dans sa BD, elle parle par exemple du droits des femmes... Dans le cas de la ZAD, ça nous a fait écho à une certaine manipulation du système pour faire croire que le réel danger ce sont les opposants du système. Etiqueter les personnes qui se révoltent comme violents participent à les décrédibiliser. La seule violence pointait du doigt est celle des zadistes, mais pas du tout celle du manque de respect de la faune et de la flore, des habitants du lieu, ni même la violence avec laquelle on veut faire quitter les squatteurs de cette zone. Est-il mauvais de vouloir désobéir face au système dans certains cas ? Est-il légitime que des gens décident de l'aménagement du territoire et des conséquences que ça aura (qui dit un autre aéroport, dit plus d'avions, dit plus d'utilisation du kérosène qui n'est pourtant pas une ressource durable de notre planète...)? Du coup, Emma nous questionne : "à partir de quel niveau de violence et d'humiliation subie pourrons-nous nous estimés légitimes à réagir en dehors du cadre que nos oppresseurs ont défini pour nous ?"

 

Bernard Werber a écrit un texte sur le système, mais nous ne partagerons ici qu'une citation : "Ne t'attaque pas au système, démode-le !". Justement, dans cette idée de ne pas répondre à la violence par la violence, ce qui nous ressemble potentiellement plus, tout en restant assez neutre et nuancé... Pour lire le texte complet (et il vaut le coup), cliquez-ici !

 

Et voilà pour cet article, un peu long, un peu décousu, mais qui nous tenait à coeur... Nous sommes restés à NDDL de vendredi soir jusqu'au lundi 24/07 matin, et nous avons repris  la route pour Nantes... suite au prochain épisode ! ;) 

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Sources, et pour en savoir plus en détails :
* historique : http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/02/18/notre-dame-des-landes-petite-histoire-de-la-plus-vieille-lutte-de-france_4868063_3244.html
* Trois médiateurs :https://reporterre.net/Trois-mediateurs-pour-etudier-le-dossier-de-Notre-Dame-des-Landes

Commentaires

  • charlotte Ibled
    • 1. charlotte Ibled Le 19/08/2017
    ;-)
  • Charlotte IBLED
    • 2. Charlotte IBLED Le 19/08/2017
    Plus à perdre dans la résignation que dans la révolte ou plus à perdre dans la révolte que dans la résignation?

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